Le néo-classicisme de Maurice Denis

Publié le 26-10-2017 par Eric Bourdon | Commenter
Catégorie(s) : Analyses, Peinture  


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Zoom sur le tableau

 

Plage au canot et à l’homme nu – Baigneurs à Perros-Guirec
 
Peinture à l’huile sur toile de Maurice Denis, 1924
97 × 125 cm
Musée du Petit Palais, Genève, Suisse

 

     Maurice Denis (1870-1943) est un peintre français, décorateur et écrivain. Il tient une place importante dans la période de transition entre l’impressionnisme et l’art moderne. Il fut un artiste du mouvement Nabi, puis du symbolisme, de l’Art Nouveau et des arts décoratifs, avant de revenir au néo-classicisme. Ses théories auront, malgré lui, contribué aux fondations du cubisme, du fauvisme, et de l’art abstrait.

 

     C’est la plage de Perros-Guirec, en Bretagne, là où Maurice Denis avait acheté une villa, qui va lui servir dès 1907 de décor pour des nus néo-classiques aux couleurs éclatantes, parfois inspirés par des thèmes mythologiques.

 

     Maurice Denis est l’auteur, dans un article de la revue Art et Critique de 1890, de la phrase restée célèbre comme la profession de foi de l’esthétique nabie et l’expression de son refus du réalisme. Elle est souvent interprétée comme une intuition de ce que sera l’abstraction : Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.

     Une citation qui rappelle un texte de la Philosophie de l’art d’Hippolyte Taine, paru quelques années plus tôt (1865 et versions augmentées publiées à partir de 1882) :

Par elles-mêmes et en dehors de leur emploi imitatif, les couleurs, comme les lignes, ont un sens. Une gamme de couleurs qui ne figurent aucun objet réel, comme une arabesque de lignes qui n’imitent aucun objet naturel, peut être riche ou maigre, élégante ou lourde. Notre impression varie avec leur assemblage ; leur assemblage a donc une expression. Un tableau est une surface colorée, dans laquelle les divers tons et les divers degrés de lumière sont répartis avec un certain choix ; voilà son être intime, que ces tons et ces degrés de lumière fassent des figures, des draperies, des architectures, c’est là pour eux une propriété ultérieure, qui n’empêche pas leur propriété primitive d’avoir toute son importance et tous ses droits.

 

     C’est pourtant la citation de Maurice Denis que l’histoire de l’art retiendra. Cette phrase restera comme l’une des premières définitions de l’art moderne libérant la peinture du boulet de la représentation mimétique. L’artiste ne manifestera d’ailleurs lui-même, à travers ses nombreuses réalisations, aucun effort pour mettre cette idée en peinture après la période ‘nabie’.

 
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À gauche : Taches de soleil sur la terrasse, 1890.
Peinture à l’huile sur carton, 24 x 20,5 cm. Musée d’Orsay, Paris.
À droite : Christ vert, 1890.
Peinture à l’huile sur carton, 21 x 15 cm. Collection privée.

 

     S’il s’est bien essayé, avant l’heure, à l’art abstrait, avec moins de talent que dans ses œuvres représentatives, il s’en éloignera très rapidement et fera même par écrit l’éloge de l’art imitatif. Dans ses Nouvelles Théories, publiées en 1922, il note : « La peinture est avant tout l’art de l’imitation, et non le serviteur de quelque ‘pureté’ imaginaire ».

     Celui qui aura été le prophète (nabi en hébreux comme en arabe) de l’art abstrait, n’aura pas été très longtemps le serviteur du pur usage des couleurs, pour lequel lui-même n’était pas encore prêt. Il en deviendra même un adversaire délibéré. En 1946, Henri Matisse affirme qu’il s’est éloigné de ce que lui a « écrit il y a quarante ans », donc vers 1906, Maurice Denis : « N’oubliez pas que la peinture est avant tout un art d’imitation ». C’est précisément en 1905 que Denis proclamait déjà la « réaction nationaliste » nécessaire face aux « dangers de l’abstraction » et estimait que « C’est dans la réalité qu’il [Henri Matisse] développera le mieux ses dons, très rares, du peintre, dans la tradition française »… [ Voir Des mots et des couleurs, Volume 2, aux Presses Universitaires du Septentrion, 1979, pp. 218-219, le texte (à partir de la p.197) de Shigemi Inaga : L’histoire saisie par l’artiste. Maurice Denis, historiographe du Symbolisme. ]

     Il n’y a donc pas de ‘cohérence’ entre la période nabie de Maurice Denis, et ses travaux représentatifs ultérieurs, jusqu’aux œuvres néo-classiques. Mais après l’intuition de l’art abstrait à venir, et l’incapacité manifeste qu’il avait à incarner lui-même cette évolution, il y a une rupture, et un retour en arrière. Une « réaction » justifiée d’une manière délirante, mais qui se révèle en fin de compte assez pertinente, dans son cas, sur un plan artistique.

 

 

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