Initiée dès 1892 par l’intellectuel sioniste Max Nordau, et développée par les nazis dans les années 20, la théorie de l’art « dégénéré » était l’application à l’art d’une vision culturelle proclamant et dramatisant le déclin de la société. En 1937, une grande « exposition d’art dégénéré » organisée par le régime nazi à Munich pour stigmatiser l’art moderne connaîtra un tel succès populaire que Joseph Goebbels (ministre de la propagande), exaspéré, n’aura d’autre choix que de la faire fermer…

 
Pablo Picasso femme écrivant

 

     Alors que Nordau dénonçait à la fin du siècle précédent le mépris pour les « valeurs traditionnelles des usages et de la moralité », mépris généré autant que reflété par l’art, les nazis reprochaient à l’art de s’éloigner de la norme psychologique, sociale et visuelle d’un art dit « héroïque » en accord avec la « beauté classique ». Goebbels affirmait également que la création artistique devait « se maintenir dans les limites qui lui sont inspirées par une notion d’essence politique et non par une notion d’essence artistique » (cf Lionel Richard, Nazisme et Littérature, F. Maspéro, p.47).

     En 2007, le cardinal allemand (catholique) Joachim Meisner fera scandale en employant à nouveau l’expression d’art « dégénéré » à propos de l’art « qui se sépare de la religion »

 

     Dans tous les cas, la notion de ‘dégénérescence’ subtilisée à l’univers médical a dévoilé malgré elle une dégénérescence bien réelle : celle des liens de soumission de l’univers artistique à des univers qui lui sont extérieurs. Ainsi, l’art vu comme nécessairement inféodé à la morale a paru dégénérer, en tant qu’art, lorsqu’il a perdu de vue une quelconque ‘mission’ morale : inspirer la noblesse des sentiments, la cohésion de la société… De même lorsque ses attaches aux traditions et usages se sont dissoutes, et encore lorsque la norme d’une ‘beauté classique’ n’a pu être remontée des bas-fonds vaseux d’une Histoire trop fantasmée… Nul ne se doutait qu’en 2007 il se trouverait encore un cardinal même intégriste qui redouterait la dégénérescence de la mission ‘religieuse’ de l’art ; on croyait le cordon coupé et digéré par les vers depuis la nuit des temps…

     Comme le Phœnix, c’est au travers de ces multiples et continuelles ‘dégénérescences’ apparentes – et réelles décolonisations en fait – que les arts, et la peinture en particulier, se sont progressivement libérés des anciennes et étrangères aliénations, des entreprises de colonisation politique ou religieuse, des rôles anciens et usés auxquels on a pu les soumettre, et de leur propre paralysie, pour ne reconnaître au final que des objectifs artistiques, et ne retenir, par exemple, dans le travail pictural, que les critères de créativité visuelle et graphique.

 

 

Peinture : Pablo Picasso, « Femme écrivant », 1934.

 

 

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