À une artiste – Poème de Louise Ackermann

Publié le 05-02-2018 par Eric Bourdon | Commenter
Catégorie(s) : Analyses, Poésie  


     Puisque les plus heureux ont des douleurs sans nombre,
     Puisque le sol est froid, puisque les cieux sont lourds,
     Puisque l’homme ici-bas promène son cœur sombre
     Parmi les vains regrets et les courtes amours,

     Que faire de la vie ? Ô notre âme immortelle,
     Où jeter tes désirs et tes élans secrets ?
     Tu voudrais posséder, mais ici tout chancelle ;
     Tu veux aimer toujours, mais la tombe est si près !

     Le meilleur est encore en quelque étude austère
     De s’enfermer, ainsi qu’en un monde enchanté,
     Et dans l’art bien aimé de contempler sur terre,
     Sous un de ses aspects, l’éternelle beauté.

 

     Artiste au front serein, vous l’avez su comprendre,
     Vous qu’entre tous les arts le plus doux captiva,
     Qui l’entourez de foi, de culte, d’amour tendre,
     Lorsque la foi, le culte et l’amour, tout s’en va.

     Ah ! tandis que pour nous, qui tombons de faiblesse
     Et manquons de flambeau dans l’ombre de nos jours,
     Chaque pas à sa ronce où notre pied se blesse,
     Dans votre frais sentier marchez, marchez toujours.

     Marchez ! pour que le ciel vous aime et vous sourie,
     Pour y songer vous-même avec un saint plaisir,
     Et tromper, le cœur plein de votre idolâtrie,
     L’éternelle douleur et l’immense désir.

 

     « À une artiste » est un poème de Louise Ackermann
extrait du recueil Premières poésies (1871)

 

louise-victorine ackermann poete eric bourdon

 

         Louise ACKERMANN (1813-1890) est une poétesse française.

 

     Louise-Victorine Choquet est née à Paris de parents d’origine picarde. Son père, voltairien et amoureux des lettres, lui fera donner une éducation éloignée de l’enseignement religieux. Il sera l’initiateur des premières lectures de sa fille. De tempérament indépendant, il quittera Paris à trente-trois ans pour la solitude de la campagne, emmenant avec lui sa femme et ses trois filles.

     Louise vivra une enfance solitaire. Son tempérament studieux et méditatif se déclarera très tôt, la mettant à l’écart des enfants de son âge et de ses sœurs. Sa mère, qui se fait mal à la vie campagnarde, est rongée par l’ennui et sera peu conciliante envers sa fille aînée. Elle exige que celle-ci fasse sa première communion, pour respecter les conventions mondaines. Louise découvre ainsi la religion en entrant en pension à Montdidier, et y porte tout d’abord une adhésion fervente, qui alarme son père. Ce dernier lui fera lire Voltaire, et l’esprit du philosophe créera le premier divorce entre Louise Choquet et le catholicisme.

     De retour de pension, elle poursuit ses lectures dans la bibliothèque paternelle, et découvre Platon et Buffon. C’est vers cette époque qu’elle commence à faire ses premiers vers. Sa mère s’en inquiète, ayant une prévention envers les gens de lettres. Elle demande conseil à une cousine parisienne, qui lui recommande au contraire de ne pas brider les élans de sa fille mais de les encourager.

     Le décès de son père la privera bientôt du seul soutien familial qui valorisait ses compétences littéraires. Sa mère lui interdit la fréquentation des auteurs, et Louise renonce pour un temps à la poésie.

     Son mariage sera parfaitement heureux, mais ne durera que trois ans : Paul Ackermann décède de maladie le 26 juillet 1846, à l’âge de trente-quatre ans. Très éprouvée par son veuvage, Louise rejoint une de ses sœurs à Nice, où elle achète un petit domaine isolé. Elle consacre plusieurs années aux travaux agricoles, jusqu’à ce que lui revienne l’envie de faire de la poésie. Ses premières publications ne suscitent que peu d’intérêt, mais retiennent tout de même l’attention de quelques critiques, qui en font la louange tout en blâmant son pessimisme qu’ils attribuent à l’influence de la littérature allemande. Elle se défendra de cette influence, réclamant pour sienne la part de négativisme de ses pensées, et expliquant que celle-ci apparaissait déjà dans ses toutes premières poésies.

     Son autobiographie révèle une pensée lucide, un amour de l’étude et de la solitude, ainsi que le souci de l’humanité qui transparaîtra dans ses textes.

 

 

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