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(Zoom sur le dessin)

 

Heidegger : l’introduction du nazisme dans la philosophie…

Dessin au stylo et feutre sur papier,
avec retouche numérique
par Eric Bourdon © 2016

 

     Depuis la parution en 2005 du livre d’Emmanuel Faye Heidegger, l’Introduction du Nazisme dans la Philosophie aux Editions Albin Michel, on sait à quel point le pilier de la philosophie du 20ème siècle était noyé dans le nazisme. Pas seulement l’homme, mais son œuvre également, dont le vocabulaire volontairement sophistiqué au-delà de toute mesure repeint en réalité les concepts de base bien connus du nazisme : la race et la sélection raciale, la souche, l’essence allemande, la voix et l’unité du sang, le sacrifice de soi pour le peuple, l’expansion territoriale, la vision du monde du Führer, l’extermination totale de l’ennemi intérieur… On trouvera une première illustration de ce décodage dans cette conférence de 2005 à la Sorbonne suivie d’un débat, et dans la préface de 2007 à la seconde édition du livre.

 

     Ce maquillage intellectuel du nazisme n’a pas commencé à couler depuis 2005. C’est dès 1961 que la « Profession de foi en Adolf Hitler et en l’Etat national-socialiste » de Martin Heidegger est parue en France (aux Éditions de Minuit). Mais l’œuvre complète de Heidegger n’a commencé à être publiée qu’en 1975 et ses cours les plus terribles ne sont disponibles que depuis le début des années 2000. La parution de l’œuvre intégrale, avec des conférences et des textes inédits, et la version originale de textes déjà connus mais modifiés lors de leur précédente publication de manière à les rendre plus acceptables, ainsi que ses correspondances privées pleines d’un antisémitisme virulent, se poursuit à l’heure où leur auteur, qui n’a jamais pris ses distances avec le nazisme, n’est plus là pour les assumer.

     Les textes de Heidegger ont encore aujourd’hui toute leur place dans les bibliothèques de philosophie des universités françaises, alors qu’ils ne sont pas fondamentalement philosophiques. Emmanuel Faye démontre d’une manière implacable qu’ils ne prennent jamais aussi bien leur sens que lorsqu’ils sont confrontés aux écrits des auteurs racistes, pré-nazis ou nazis (Erich Rothacker, Alfred Baeumler, Oskar Becker, Ludwig Clauss, Hitler lui-même dans Mein Kampf, Walter Darré, Erik Wolf, Carl Schmitt…), et qu’ils mériteraient par conséquent d’être déplacés sur les rayons réservés aux livres sur l’histoire du nazisme et des totalitarismes. Mais la programmation de leur publication complète, soigneusement décidée par Heidegger lui-même, permet d’ajouter progressivement un texte après l’autre, en provoquant le moins de scandale possible ou, comme des couleuvres, juste un scandale après l’autre, et de réintroduire ainsi tous les thèmes du nazisme par le moyen de la philosophie. La violence intellectualisée qui justifie les crimes en temps de guerre, les relativise et entretient leur esprit en temps de paix…

     La force d’inertie du système universitaire français aidant, et son accoutumance aux pires « énièmes » révélations, qu’il finit presque par accueillir dans la torpeur et l’ennui, cette stratégie de Heidegger est aujourd’hui encore gagnante, même si elle vacille, à mesure que des nouveaux textes sont publiés par ses ayants droit qui contrôlent ses archives d’une main de fer. La déconstruction de l’image du ‘grand philosophe de l’authenticité’ est bel et bien en route, mais avec combien d’années de retard ?

     Certains persistent à vouloir « séparer l’homme de l’œuvre », dans la continuité de l’aveuglement qui a profité à Heidegger depuis des décennies, et à affirmer avec une naïveté poignante qu’on peut étudier l’œuvre philosophique d’un auteur qui ‘par ailleurs’ était tout à fait nazi. Si l’on s’accorde sur le fait que la philosophie est essentiellement une discipline qui traite de morale, il est intéressant de noter que dans toute l’étendue du système moral de Heidegger, on est au moins assuré de ne rien trouver qui soit en contradiction avec l’esprit du nazisme et de ses camps d’extermination. Et pour une ‘morale’, c’est assez curieux.

     Enfin, comment fustiger l’aveuglement et l’inculture grossière des électeurs du Front National, et la réussite progressive de son entreprise de ‘dédiabolisation’, lorsqu’on voit à l’Université (qui se voudrait l’antre de la culture et de la transmission de la culture) une autre entreprise de dédiabolisation, celle du nazisme lui-même, se frayer tout doucement un chemin…

 

La version en anglais de
Heidegger, l’Introduction du Nazisme dans la Philosophie,
parue en 2009 chez Yale University Press,
a reçu le prix INDIES, catégorie Philosophie,
de Foreword Magazine.

 

Voir aussi : Lire Heidegger sans référence au nazisme ?



english eric bourdon   Heidegger : the introduction of Nazism into philosophy



 

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