Après « 30 Millions d’Amis », « Front Populaire » de Michel Onfray, le magazine des riches amis du peuple ! Ou la révolution télécommandée…

Front Populaire, magazine pop de Michel Onfray - Eric Bourdon

Zoom sur le dessin


Front Populaire, le magazine classe pop’ de Michel Onfray

Dessin au stylo & feutre sur papier,
avec retouche numérique
© Eric Bourdon, Lille, 2020



     Front Populaire ? Incroyable mais vrai ! À l’heure du réveil écologique (plus que tardif) on peut encore penser à sortir un « nouveau » magazine… tout en papier. Vraiment pas politiquement correct (lol !…).


     Qualifiée d’ovni journalistique par Les Échos, la revue de Michel Onfray baptisée Front Populaire, dont le premier numéro a été aperçu dans les kiosques dès le 23 juin, est un projet hybride entre un site internet et un « mook » (lui-même projet hybride entre le magazine et le book). Le petit livre trimestriel de 160 pages est décrit par son créateur philosophe comme « une machine de guerre pour la plèbe ». Ça, c’est beaucoup moins original…



     Car presque pas un seul jour ne passe sans qu’un politicien n’exprime sa rage, son écœurement scandalisé face au « système » et ne verse sa petite larme pour un « petit peuple » dont il se distancie au passage et auquel il promet, si ce peuple avait la bonne idée de lui confier un peu plus encore de pouvoir, une juste vengeance et le rétablissement de ses droits sacrés (z-)et inaliénables. Entre les braillements populistes de Jean-Luc Mélenchon qui dans un moment de colère et de stress (et de sincérité, disent les mauvaises langues…) avait quand même fini par nous lâcher son joli « la République, c’est moi ! » et les répétitions obsessionnelles, dignes d’une pensionnaire d’hôpital psychiatrique, par Marine Le Pen, du fameux concept du « peuple-de-France-peuple-de-France-peuple-de-France », les élites politiques privilégiées ne ratent aucune occasion pour tenter de se mettre « le peuple » dans leurs poches (pourtant déjà pleines de tunes).



     Élites ? Non, c’est vrai, pas tout à fait. Et puis ils râlent sans arrêt contre les élites, ils ne peuvent bien sûr pas en être… Le millionnaire des insoumis n’est de toute façon pas au pouvoir, pas en tout cas au niveau où il rêverait de l’être. Ni la poissonnière en chef de l’ancien « Front ». Comptes en banque plus que confortables et/ou propriétés immobilières, organisations politiques à leur service… mais pas dans la classe dirigeante. Plutôt dans cette classe intermédiaire, la haute classe moyenne, celle dont parlait George Orwell dans sa fiction 1984. Ils sont proches du grand pouvoir, tout près, ils en rêvent, ils en bavent goulûment, mais ils n’y sont pas encore tout à fait. La classe intermédiaire, comme l’illustre si bien Orwell, n’a pas les moyens, l’énergie, la stratégie ou l’occasion pour renverser et prendre la place de la classe dirigeante. Alors elle fait appel aux forces du peuple, lui promet la liberté, l’argent, le respect et d’autres blagues idiotes dans le genre…



     Lorsqu’un jour la classe intermédiaire prend enfin le pouvoir, on sait ce qu’il reste des promesses de fraternité avec le peuple. La République, c’est moi. Au moins, avec Mélenchon on est prévenu à l’avance, même si on est très mauvais en devinettes… On sait aussi, dans La Ferme des Animaux, autre roman bien connu de George Orwell, le sort que le cochon Napoléon réserve aux autres animaux une fois que leur révolte populaire, sous son impulsion, lui a permis de devenir le chef incontesté de la ferme. Si vous ne l’avez pas lu et que vous aimez les animaux, ne le lisez surtout pas, c’est sanglant, insoutenable, une vraie boucherie (au sens propre).



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Le cochon en chef Napoléon dans La Ferme des Animaux,
face à Michel Onfray…


« […] il arrive toujours un moment où [la classe supérieure] perd, ou sa foi en elle-même, ou son aptitude à gouverner efficacement, ou les deux. Elle est alors renversée par la classe moyenne qui enrôle à ses côtés la classe inférieure en lui faisant croire qu’elle lutte pour la liberté et la justice. Sitôt qu’elle a atteint son objectif, la classe moyenne rejette la classe inférieure dans son ancienne servitude et devient elle-même supérieure […] La classe moyenne, tant qu’elle luttait pour le pouvoir, avait toujours employé des termes tels que liberté, justice et fraternité. »

George Orwell, 1984




     Certes, pour sa part, celui qui a reconnu avec d’amers regrets n’avoir été dans les années 90 que le « fantassin » du très médiatique Bernard-Henri Lévy, a déclaré qu’il ne se présenterait pas aux élections présidentielles de 2022. Pour l’instant… Michel Onfray n’envisage « que » de soutenir un candidat et promet (comme le cochon Napoléon) de rester sagement à l’arrière-plan…




Souverainisme ? Le pouvoir au peuple… ou presque.



     Le thème central affiché par son magazine Front Populaire : le souverainisme. Cette idée étrange qui voudrait qu’on se sente plus libre quand on est dirigé par quelqu’un du coin plutôt que par quelqu’un d’autre un peu plus loin. Comme si le citoyen lambda habitant, par exemple, à Lille, avait ne serait-ce qu’un milligramme de plus d’influence sur les décisions prises par Martine Aubry que sur celles du président de la Commission Européenne (dont personne ne connaît le nom)… Certaines décisions sont de nature à être prises localement, d’autres décisions doivent être prises à un niveau plus global, au-delà des frontières régionales ou nationales, d’autres encore à un niveau intermédiaire, ou mixte. Le « souverainisme » clamé haut et fort comme un cri systématique de ralliement général, est-ce autre chose qu’un de ces très ordinaires effets d’optique démagogiques destinés à créer l’illusion d’une perspective de pouvoir populaire ?



     Mais surtout, le souverainisme est une coquille vide, en apparence… voire un cheval de Troie. Tant qu’on parle de la forme, et qu’on essaye de faire passer la forme pour le fond, on s’épargne de s’engager sur le véritable contenu politique. Le souverainisme ne peut pas être une politique, il est au mieux un mirage, un paradoxe, une absurdité logique et stratégique. Puisqu’il s’agit de l’aveu même des créateurs de Front Populaire de viser la prochaine présidentielle, pourquoi ne pas mettre en avant l’opinion, le vrai parti pris de la rédaction du journal papier, le fond plutôt que la forme générale d’un projet délibérément populiste qui serait par lui-même (c’est du moins ce qu’on espère nous faire avaler) ouvert et vierge de tout a priori, pluraliste, et qui comme une « surprise box » pourrait donc juste en théorie (spoiler : les dés sont pipés !) déboucher sur tout et le contraire de tout ?…




Front Populaire désigne les Ennemis du Peuple !



     Ce livre périodique qui se dit « pour le peuple » et même « pour la plèbe » (mais on est où là ??…) n’est pas écrit par le peuple, c’est-à-dire ces vilains mais fiers gueux en guenilles que nous sommes tous pour Maître Onfray. Les auteurs les plus ‘pop’ sont majoritairement relégués hors du livre, dans la partie ‘blog’ du ‘site-mook’, qui donne à peu de frais une coloration populaire à l’ensemble du projet dont le livre est, avec ses auteurs triés sur le volet et bien plus ouvertement politisés, le véritable noyau dur du message idéologique qu’on essaie de nous refourguer.



     Pas trop dur à décrypter, par ailleurs : anti-Europe, anti-mond­ialisation (autre coquille vide), anti-élites (alors que c’est les seuls qui se rendent pas compte, pour paraphraser Coluche, que les élites et eux, en fait, c’est pareil…), anti-Macron (détail : n’est-ce pas celui-là même qui est l’incarnation du choix du peuple souverain, haï en chœur par tous les « souverainistes » auto-proclamés, allez comprendre…), anti-Bayrou, anti-BHL, anti-Soros (…) La victimisation populaire comme principe à tous les étages et dans tous les sens… Bref, le problème, c’est les autres ! Ils sont tous nos ennemis, de tous côtés, et au-dessus, et même au-dessous ! Ils en veulent tous à notre peau, il faut se protéger. Le monde est inquiétant, dangereux, il fourmille de menaces. Et nous, on est les salauds de personne. Et nous sommes en guerre, Maître Onfray l’a dit. Ah bon… Et Maître Onfray sait ce qui est bon pour nous. Il sait ce qu’est le peuple et a donc toute légitimité pour désigner ses ennemis, comme Trump le fait aux États-Unis en ciblant prioritairement les médias (une vraie tare, c’est vrai, cette mondialisation… du populisme). Alors BHL et autres « Ennemis du Peuple », prenez garde à vous !



     On dit : « Front Populaire donne la parole à tout le monde ». Front Populaire ne donne la parole à personne, pas plus qu’il ne leur permet de respirer ou de faire caca (mais patientons, ce n’est que le premier numéro…). On ne peut donner à quelqu’un ce qu’il a déjà mille fois. Aujourd’hui (breaking news !), n’importe qui peut créer un blog à son nom en cinq minutes (vingt, si on est lent) ou un profil sur l’un des innombrables réseaux sociaux existant et publier ce qu’il a envie d’y exprimer. Front Populaire n’est pas utile aux auteurs de son blog. Et ce n’est pas par bonté d’âme qu’on leur laisse y publier (après approbation de chaque post qui devra soigneusement épouser la ligne éditoriale suggérée par le livre et les posts déjà autorisés) ce qu’ils pourraient de toute façon publier gratuitement partout ailleurs. Par contre, les auteurs du blog, aux origines sociales diverses et variées, sont absolument indispensables à la team Onfray comme caution de la prétention ‘populaire’ de ce nouveau Front sans mandat.



     Le « peuple » aura-t-il quoi qu’il en soit le loisir de lire tous les trois mois un « mook » de 160 pages le soir après le boulot, ou le week-end entre deux lessives ? Évidemment non. Le livre-magazine ne sera pas lu par le peuple (ces 99,99% de français qui ne sont pas au pouvoir, et ne rêvent même pas d’y être ou de s’en approcher, et puis qui s’en foutent un peu aussi, disons-le). Ce livre pour le peuple ne sera feuilleté que par des petits et grands bourgeois qui à l’heure du brunch se féliciteront la larme à l’œil que le peuple ait enfin son mook à lui. Cela fera très tendance sur la table basse du salon en marbre de Carrare, juste à côté de 30 Millions d’Amis !… « Jean-Charles, vous aimez le peuple aussi ? Votre grand cœur vous perdra mais dites-moi, question philosophique : s’il fallait choisir entre… le peuple et les petits chiens…? Sacré cas de conscience, n’est-ce pas ?… »




Front Populaire : une lueur d’espoir ?… Ou pas.



     Allez… le projet Front Populaire étant une nouvelle aventure, laissons-lui une chance, peut-être démentira-t-il le sort que connaissent habituellement les révolutionnaires de la haute classe moyenne ?…



     Mais le créateur de Front Populaire met-il toutes les chances de son côté ? Ou plutôt : aurait-il pu faire pire ? Avec Jean-Pierre Chevènement et le vicomte Philippe de Villiers à la rédaction du premier numéro du magazine (oui, ils bougent encore !), elle est quand même mal barrée la révolution télécommandée du peuple… Ou de la basse « plèbe ». D’aucuns pourraient ainsi solliciter respectueusement le rédac’ chef du web-mook : « Wallah mon frère tu crois vraiment que t’es sur la bonne fréquence pour émettre dans les tiécars, t’as pris des champis ou bien ?? Hawaïens ou mexicains ?… »



     Autres auteur(e)s de ce pimpant premier numéro de l’hallucinant Front Populaire : Céline Pina, Mathieu Bock-Côté, Jacline Mouraud (chercheuse d’ectoplasmes, si si… grâce à laquelle, peut-être, le Maréchal Pétain, Jeanne d’Arc ou Martin Heidegger pourraient être auteurs dans les prochains numéros ? Allez, on lance des idées, c’est participatif !…), Maître François Boulo, Michèle Tribalat, Thibault Isabel (auteur de Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre), Stephane Kélian et Jacques Sapir qui signent des articles pour la sortie de la France de l’Euro et de l’Europe (le chaos britannique est le rêve du petit peuple de France, ceux qui le connaissent bien le savent, on en parle partout du matin au soir, ça c’est une idée qui simplifierait la vie des vrais Français au quotidien !…), Frank Lanot, Jeremy Stubbs, Andréa Kotarac (passé de la France Insoumise au Rassemblement National, c’est tous les mêmes on vous dit…), Henri Peña-Ruiz (Parti de Gauche), Georges Kuzmanovic (parti de La France Insoumise et pas revenu), Eugénie Bastié, les deux co-fondateurs de Front Populaire Michel Onfray et… Stéphane Simon, producteur d’Ardisson pendant une vingtaine d’années et qui a lancé avec le magazine Causeur la webtélé RéacnRoll (sic) où s’illustrent deux autres auteurs réactionnaires décomplexés du numéro un du magazine Front Populaire : Barbara Lefebvre et Maître Régis de Curières de Castelnau…








 

comment box eric bourdon

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